- Quelquefois je me demande ce que nous sommes en train d'attendre
Silence.
- Qu'il soit trop tard madame.
A. Baricco, Océan mer
Il y avait à Poudlard, en ce moment, une atmosphère assez malsaine d'attente. Attente des vacances, attente du prochain meurtre, de la prochaine mauvaise nouvelle... Attente surtout, à l'instant présent, de la fin de ce foutu cours d'Histoire de la Magie. Que l'on soit clair. Louhanne aimait l'histoire. Pour tout vous dire, même, il est probable que, si elle n'avait pas été une sorcière, si elle avait été amenée à suivre un cursus moldu « normal », elle aurait vraisemblablement fait des études d'histoire. Vice familial, en quelque sorte. Sa mère avait une forte tendance à ne comprendre la vie qu'à travers l'histoire. Et étudier l'histoire de la magie, c'était une perspective qui, au départ, avait de quoi plaire à Louhanne. Mais elle avait vite été déçue, dès, en fait, le premier cours de Binns. Car l'histoire est quelque chose de vivant ! Elle ne peut être intéressante que si on la met en perspective avec le présent, si elle nous aide à le comprendre, et à nous construire par rapport à elle. Or, rien n'était moins vivant que les cours de Binns, à part peut-être le professeur lui-même. Vraiment, à quoi pensait Dumbledore en laissant cette vieille carne (enfin, façon de parler... Le bonhomme n'était, justement, pas très carné) enseigner ? Il aurait été temps de lui dire d'aller se reposer, et d'embaucher un prof jeune et dynamique, si possible aussi – allez, soyons exigeante – avec un physique de rêve, parce que c'est toujours plus agréable, n'est-ce pas ?
Bon, soyons honnête. Louhanne n'écoutait pas les cours de Binns. Elle passait une bonne partie de ses cours à lire le manuel d'Histoire de la magie, qui était tout de même plus intéressant que le vieux professeur. Certes, ça n'était pas terrible, mais elle considérait que c'était déjà bien mieux que la plupart des autres élèves, qui consacraient l'essentiel de ce cours à discuter, ou à se jouer des tours les uns aux autres. En somme, vu le nombre de sorts qu'on s'y jetait, le cours d'Histoire de la magie était un peu la mise en pratique du cours de Sortilèges... Bon, après, Lou' n'allait pas jouer les petits anges, ça lui arrivait aussi de se prêter à ces jeux là, ou simplement de laisser son regard et son esprit s'évader par la fenêtre, quant elle ne se lançait pas dans une conversation quelconque avec son voisin ou sa voisine.
En tout cas, tout le monde, là, s'ennuyait ferme. Comme souvent dans ces cas là, Lou' laisse son esprit vagabonder. Quand elle pensait à ces pauvres Serdaigles... Ils devaient être morts de trouille, après les meurtres qui avaient eu lieu, et les inscriptions au mur. Elle se souvenait que le Choixpeau avait hésité à la placer à Poufsouffle ou à Serdaigle, eh bien, elle était définitivement bien contente de son choix final ! N'empêche, cette foutue attente... Elle ne pouvait s'empêcher de se poser une foule de question. Est-ce que cette affaire était finie, ou est-ce qu'il y aurait encore des meurtres ? Est-ce que le meurtrier n'était pas là, planqué dans un coin du château, à les observer, se délectant de cette attente morbide d'événements qu'on sait ne pas maîtriser et qu'on ne comprend, mais qu'on est condamné à attendre ? Attendre qu'il soit trop tard ? Attendre que règne une ambiance si néfaste que l'amitié n'existe plus, parce que chacun aura soupçonné mille fois son voisin, son ami, son frère ? Attendre d'avoir oublié tous ces événements, qu'on se croie sauvé, pour que quelqu'un soit tué à nouveau ? Comment donc est-ce que tout le monde pouvait continuer à vivre normalement, ou presque, avec ce qui s'était passé, et alors même qu'on ne savait toujours rien sur ces meurtres ? Déjà, Louhanne en avait mal au cœur. Alors comment devaient se sentir les Serdaigles ?
Le cours, justement, était en commun avec les Serdaigles de Cinquième année. Son regard tomba sur Nina. C'était une jeune fille assez étrange, une Serdaigle, donc, toujours silencieuse. Lou' avait la conviction que si elle était si renfermée, c'était par timidité, et elle s'évertuait donc, aussi souvent qu'elle le pouvait, à lui adresser la parole. Ca ne devait pas être drôle d'être tout le temps toute seule... Bien-sûr, elle s'était déjà fait rembarrer une ou deux fois, mais Louhanne mettait ça sur le compte de la maladresse, et de toute façon, elle n'était pas du genre à lâcher l'affaire si vite. Lou' se souvint soudain que sa mère lui avait raconté qu'au tout départ, quand elle avait immigré en Angleterre, elle ne voulait parler à personne, et elle était désagréable avec tout le monde, non pas par haine ou par amour de la solitude, mais par peur. C'est terrible, ce que la peur peut nous faire faire, parfois... Lou' songea que ces histoires de Mangemorts, auxquelles elle ne comprenait pas encore tout, mais qui prenaient une place croissance dans l'actualité du monde sorcier, tenait peut-être aussi, avant tout, à la peur, et à l'incapacité d'en sortir pour aller parler aux autres.
C'est au beau milieu de ces réflexions qu'enfin, la fin du cours sonna. Lou', sans réfléchir, se leva d'un bond, rangea vite ses affaires dans son sac. Elle fut l'une des premières à arriver à la porte. Mais Nina, tout de même, avait été plus rapide qu'elle. Louhanne marcha d'un pas vif, et la rejoignit, bien décidée à engager la conversation. Il fallait bien mettre un peu de relations humaines, dans tout ça ! En tout cas, ça ne coûtait rien d'essayer. Elle était persuadée qu'au fond, Nina n'était pas si froide qu'elle voulait le faire croire, et que ça n'était qu'une façade. Restait à percer cette façade, et pour cela, la gentillesse était sûrement l'arme principale. Ca tombait bien, car en fait d'arme, c'était sûrement la seule que Louhanne sache réellement manipuler.
Elle commença donc ouvertement à descendre les escaliers à côté de Nina, lui fit un sourire, et lui lança :
- Salut Nina, tu vas bien ? Il est horrible, hein, ce cours d'Histoire de la Magie ? Je me demande si qui que ce soit a déjà réussi à y apprendre quelque chose...Elle lui fit un sourire engageant, qui était sa manière primitive de dire « ne t'inquiète pas, je ne mords pas ! »
Puis elle continua :
- C'est dommage, parce que je suis sûre qu'en soit ça pourrait être une matière intéressante, l'Histoire de la Magie, tu ne penses pas, si c'était raconté de manière vivante ? Il a dû se passer plein de choses merveilleuses dans le monde sorcier, et je voudrais bien que ces cours nous aident à comprendre pourquoi il est comme il est aujourd'hui.Puis elle se tut. Elle avait beaucoup parlé, vite et en une seule tirade, et elle se dit qu'elle avait peut-être risqué d'intimider la jeune fille. Elle attendit, un peu gênée, espérant que le silence n'allait pas s'installer bêtement...