Le ventre de Meena se mis à gargouiller. Elle ouvrit la montre gousset qui reposait sur sa poitrine et fut surprise de constater qu'il était pratiquement midi. Ce matin, elle n'avait exceptionnellement pas eu cours. Elle venait de passer trois heures à écrire un tout nouveau chapitre pour son livre qu'elle avait intitulé : "La magie des brumes".

Elle déposa sa plume dans l'encrier posé au coin de son pupitre et se leva de sa chaise. Il faisait frais aujourd'hui, même au sein du château, alors elle décida d'enfiler son écharpe aux couleurs de Serdaigle.

Meena avait pour habitude de manger seule. Ainsi, elle ne passait pas un repas sans être accompagnée d'une bonne lecture.
Hier, elle avait terminé le passionnant livre "Sorts et enchantements anciens et oubliés" et l'avait par ailleurs rapporté à la bibliothèque ce matin, moment où elle avait emprunté "Le Manuel Pratique des Anti-Sorts", qu'elle se destinait à lire aujourd'hui.

Livre sous le bras et écharpe autour du cou, Meena se mis en route pour la grande salle. Aujourd'hui ses cheveux étaient ramassés par un ruban de couleur bleu clair, mais il laissait cependant s'échapper quelques mèches rebelles çà et là, le long de son visage.

Noël approchait à grands pas et cela commençait à se ressentir. Les conversations des couloirs ne parlaient plus que de cela et du bal, bien sûr, qui avait prochainement lieu et auquel elle irait certainement seule. Mais bientôt les vacances seraient là et elle pourrait revoir ses parents, la seule vraie présence amicale dont elle pouvait se vanter.


Arrivée dans le hall d'entrée, le regard de Meena s'arrêta sur un garçon aux cheveux rubigineux. C'était assez rare de croiser de vrais roux à Poudlard, bien qu'elle en ait déjà vu, celui là, c'était la première fois.
Il semblait un peu perdu. Il avançait lentement dans les escaliers et se laissait bousculer par les élèves affamés.
Meena s'arrêta un instant pour l'observer.

*Il a l'air un peu triste.*

Elle se remis à avancer et détourna le regard, s'apprêtant à entrer dans la grande salle, déjà bondée de monde. Son estomac lui rappelait incessamment qu'il était bien l'heure de manger.
Mais le regard perdu de ce garçon aux cheveux couleur rouille restait gravé sur sa rétine. Elle se retourna à nouveau vers sa direction et, au même instant, un garçon plutôt corpulent apparu derrière lui et lui fonça dessus lourdement.

Tout se passa ensuite très vite. Meena, dans un premier temps, s'immobilisa complètement et attrapa sa baguette qui était soigneusement rangée à l'intérieur de sa veste. Son regard ne quittait pas le roux qui, ahuri, venait de se retrouver propulsé par-dessus la rambarde et se dirigeait maintenant tête-la-première droit vers le carrelage du hall d'entrée. Meena n'hésita pas un instant et, tout en pointant le garçon de sa baguette, s'écria d'une voix assurée :

"Aresto Momentum !"

La chute du pauvre garçon se trouva alors momentanément arrêtée. Son visage était comme tétanisé. Sa bouche était tordue en une sorte de rictus mélangeant peur et surprise et ses yeux étaient totalement clos.

Enfin, il se retrouva brutalement plaqué à plat ventre contre le sol, les yeux grands ouverts cette fois, ébahi.
Quelques élèves se regroupèrent autour de lui alors qu'il n'osait visiblement pas bouger.

Meena, quant à elle, rangea discrètement sa baguette à l'intérieur de sa veste et, souriante, pénétra la grande salle.

Personne ne semblait avoir remarqué qu'elle était à l'origine de ce sortilège prononcé au bon moment. Du moins, c'est ce qu'elle pensait et... espérait. Elle ne voulait en aucun cas être la victime d'une quelconque rumeur au sein du château. Après tout, son statut de fille invisible lui convenait très bien. Enfin, ça aussi, c'est ce qu'elle pensait.

Elle repéra une table sur laquelle personne ne s'était encore assit et s'y installa pour manger.
Elle se sentait légère ce midi, fière même. Bien trop souvent, ses sortilèges destinés à aider, voire à sauver, dirons-nous, des élèves en détresse, ont le malheur de mal tourner. Mais aujourd'hui, elle ne pouvait pas souhaiter mieux.

Mais elle aurait voulu connaître la raison pour laquelle ce garçon l'avait autant interpellée. C'était quand même plutôt étrange, c'est vrai. Tout d'abord, elle l'aperçoit, puis elle s'arrête et l'observe pour enfin continuer sa route et se retourner une nouvelle fois, pile au moment de sa chute. C'était comme si une petite voix lui avait glissé incognito dans l'oreille :

"Regarde ce garçon, là-bas, il va avoir besoin de toi dans les minutes qui viennent !"

Meena était quelques peu persuadée qu'une sorte d'ami imaginaire veillait sur elle. C'était sa façon à elle de se rassurer, de trouver un attrait à sa solitude.

Mais peut-être aussi que ce garçon lui avait semblé attirant. Peut-être que son air hébété lui avait plu. Depuis quelques temps, Meena regardait de plus en plus les garçons autour d'elle, surtout depuis qu'elle savait qu'un bal avait été organisé pour Noël.
Dans le cas où elle n'irait pas seule à ce bal, c'est-à-dire dans aucun cas, elle se serait vue accompagnée d'un garçon pas trop tape-à-l'oeil, pas un de ces garçons toujours entourés d'une horde de filles prêtes à lui sauter dessus. Non. Un garçon un peu différent. Quelqu'un qui apprécierait vraiment sa présence.

La jeune fille venait tout juste de commencer à manger et s'apprêtait à commencer sa lecture, quand elle fut interrompue dans ses pensées par une voix masculine.

C'était lui. Il était là, derrière elle...

"Excuse-moi"

Ces deux mots avaient suffi pour créer une tempête dans la poitrine de Meena. C'était bien lui. Il savait ce qu'elle avait fait et il l'avait suivi jusqu'à sa table. Comment allait-elle se justifier de l'avoir sauvé ? Qu'est-ce qui pourrait bien pousser une personne à s'occuper du destin d'un inconnu ?
Ne sachant pas vraiment quelle mimique adopter, elle se retourna en affichant un visage serein. Enfin, c'est du moins ce qu'elle avait souhaité en se retournant.
Le résultat était apparemment raté puisque le rouquin avait fait un pas en arrière. Peut-être affichait-elle au contraire une expression repoussante ? Elle tenta alors immédiatement de changer cela en un petit sourire timide. Aussitôt elle sentit le rouge lui monter aux joues. Qu'allait-elle dont lui dire !

Il venait a présent de se présenter et allait poursuivre, mais les rires de ses voisins de table attirèrent son regard et le voilà qui repartait.

*Quoi, déjà ?*

La jeune fille se sentit partagée entre deux sentiments distincts : d'un côté, elle était contente qu'il reparte, sa vie tranquille et sans interaction allait pouvoir reprendre immédiatement. Mais d'un autre côté, elle ne voulait pas qu'il reparte aussi vite. Elle voulait qu'il reste. Elle voudrait même avoir les crans de lui demander de s'asseoir près d'elle et de partager son déjeuner, chose qu'elle n'avait jamais fait depuis qu'elle était à Poudlard.
Cette dernière pensée la paralysa un instant. Elle le regardait s'éloigner d'elle, impuissante. Son coeur n'avait plus assez de place pour battre dans sa poitrine.

Avec tout cela, elle ne s'était même pas rendu compte que les autres serdaigles non loin d'elle étaient toujours en train de rire. Elle se retourna alors vers eux et s'apprêtait à leur dire de s'occuper de leurs affaires quand elle réalisa que, justement, ils étaient la raison pour laquelle Ron était partie sans même terminer sa phrase. Le pauvre, il avait dû se sentir ridicule et cela l'avait poussé à rebrousser chemin !

Elle se leva alors brusquement, attrapa son livre et se mis à courir après le jeune homme.

"Ron ! Attends !" s'écria-t-elle.

Plusieurs élèves se retournèrent vers elle, alertés par son cri.
Ça y est, elle n'était plus invisible à leurs yeux.

Elle s'immobilisa et au même instant, le garçon aux cheveux roux se retourna. Il avait l'air triste, encore une fois.
Le coeur de la jeune fille battait fort, si fort, c'était un sentiment de résurrection qu'elle ressentait. Toutes ces années sans parler à personne, comme invisible aux yeux des autres et là voilà qui courrait après un garçon, au beau milieu de la grande salle, sous les regards étonnés des autres élèves.

Elle prit son courage à deux mains et s'approcha du jeune garçon :

"Euh... t... tu veux qu'on déjeune ensemble ?"

Soulagée. Fière. Elle se sentait pousser des ailes !

Mais quand son esprit retomba sur Terre, le regard qu'il posa sur elle ne la rassura pas. Que pensait-il ? Il allait lui répondre que non, ça ne l'intéressait pas et il la planterait là, devant tout le monde. Ou bien peut-être même qu'il allait se mettre à rire et continuer son chemin.

Au moment où il ouvrait la bouche pour soit répondre, soit se mettre à rire, Meena repéra que son poignet était très enflé et meurtris.

Il commencait à parler quand elle le coupa brusquement :

"C'est de ma faute, ton poignet ?"

Sa voix était tremblante, son visage tendu. Elle avait voulu le sauver, pas lui faire mal ! Et puis non en fait, elle n'avait pas voulu le sauver. Elle s'était retourné au bon moment, voilà tout. Mais personne ne lui avait demandé de prononcer ce sortilège, donc oui, c'était bien de sa faute.
Sans le vouloir, elle avait tout gâché. Elle venait de proposer à un garçon de venir déjeuner avec elle avant de réaliser qu'elle lui avait préalablement cassé le poignet. Personne n'avait certainement jamais vécu quelque chose d'aussi humiliant !
Aussitôt, elle se mis à réfléchir en toute hâte à un sortilège qui pourrait soulager son poignet. Mais en même temps, n'avait-elle pas fait assez de dégâts comme cela ? Peut-être était-il mieux de l'accompagner sagement jusqu'à l'infirmerie ? Ou bien mieux, le laisser poursuivre sa vie dans son coin et l'oublier. Mais c'était bien trop tard pour cette dernière option. Elle n'avait déjà plus envie de le laisser filer sans elle.

Les yeux du garçon se portèrent sur son poignet qu'il s'empressa de cacher dans la manche de sa robe avant de répondre...

La réponse du garçon rassura la jeune fille, bien qu'une lueur inquiète illuminait toujours son regard. Il dû d'ailleurs sans rendre compte puisqu'il posa ses deux mains sur ses épaules et insista sur le fait qu'il ne lui en voulait pas du tout.
Il acceptait même son invitation à déjeuner avec un clin d'oeil amical, lui proposant d'aller le prendre dans le parc, sous la neige. Meena, définitivement rassurée, afficha un sourire timide. Elle était heureuse. Une émotion nouvelle, totalement inconnue, bouillonnait dans son estomac. Certes, elle avait faim, mais cela était secondaire puisque, pour la première fois depuis son arrivée à Poudlard, elle allait partager son déjeuner avec un autre élève. Elle en avait rêvé tellement souvent ! La plupart des histoires qu'elle écrivait sur ses bouts de parchemins retraçaient en fait des récits amicaux entre plusieurs personnages traversant diverses aventures. Fille unique, elle s'était toujours imaginé un jour pouvoir partager une relation fraternelle avec quelqu'un, chose que pour l'instant elle se contentait de vivre à travers ses livres. Jamais elle n'avait eu l’occasion de construire une amitié et elle ne savait pas du tout comment s'y prendre, elle ne savait pas être elle-même face aux autres, juste elle-même. D'ailleurs, bien vite, son esprit se remis à penser dans tous les sens :

* Mais il fait un peu froid dehors quand même pour déjeuner ! En plus, où est-ce qu'on va pouvoir manger ? Tout est ensevelit sous la neige ! Et puis, avant de penser à notre estomac, on devrait peut-être commencer par faire un saut à
l'infirmerie et s'assurer que sa blessure n'est pas trop grave ! *

Les yeux dans le vide, mais toujours souriante, Meena ne se rendait pas compte qu'elle faisait attendre son acolyte. Ce dernier, certainement inquiet du silence de la jeune fille, ajouta, comme pour se justifier, que sa proposition n'était pas un piège et qu'il voulait encore croire que la magie existait dans un monde régit par le chaos et la terreur.
La jolie Serdaigle leva alors son regard vers celui du Gryffondor. Il avait de grands yeux qui la fixaient avec un air tendre. Elle se demanda soudain à quoi pouvait bien ressembler le passé de ce jeune homme et s'il avait beaucoup d'amis. À première vue, il semblait lui aussi solitaire.
Voyant qu'il commençait à se demander pourquoi elle ne répondait pas, elle finit par articuler, calmement :

" Euh... je pense que l'on ferait mieux de passer par l'infirmerie d'abords. Et je tiens vraiment à t'accompagner. "

Puis, regardant autour d'elle, et réalisant que de nombreux élèves assistaient à
la scène, pétrifiés de stupeur ou ricanant, elle posa son regard sur les différents plats posés sur les tables puis ajouta :

" On pourrait peut-être emprunter un peu de nourriture et trouver un endroit abrité pour manger ensuite... enfin, si ta blessure n'est pas trop grave et qu'on ne doit pas passer trop de temps auprès de l'infirmière. "

Se rendant compte de tous les mots qu'elle venait de prononcer et ce sans
bégayer, elle sentit ses pommettes rougir légèrement. C'était tellement nouveau pour elle ! Elle ne voulait pas faire de mauvais pas et réussir à être à la hauteur pour enfin briser cette longue solitude dans laquelle elle s'était enfermée durant tellement d'années. Au diable ces méchants élèves qui ricanaient de la voir sortir de son invisibilité, eux qui ont toujours été entourés et qui ne connaissent pas la solitude ! Elle voulait à présent rattraper le temps perdu, il était temps de se faire des amis et elle était fin prête !

" Au fait, je m'appelle Meena. Meena Virtanen. "

Et, ne sachant pas vraiment si elle devait le faire ou non, elle tendit sa main droite au jeune homme qu'il serra bien chaleureusement.
À ce moment, elle entendit un élève de Poutsouffle sur sa droite dire tout haut à ses amis :

" Attention, elle passe aux choses sérieuses ! "

S'en suivirent d'autres rires niais.
Meena, un peu honteuse, se retourna pour vérifier qu'ils se moquaient bien d'elle et n'eut pas besoin d'attarder son regard sur eux bien longtemps. Quelques élèves étaient en effet morts de rire et les fixaient elle et Ron.
Attristée, elle leva de nouveau les yeux vers le rouquin avant de réaliser que celui-ci affichait à présent un visage en colère et qu'il fixait les élèves en question...