Hermione avait en tête un souvenir bien précis en déambulant seule dans les couloirs, celui de cette fameuse altercation le matin même dans les couloirs de l’Ecole. Une altercation, ici ! A Poudlard ! Alors qu’il y avait tant de choses à gérer, Rogue avait trouvé le moyen de venir enquiquiner tout le monde, comme à l’accoutumée. Au visage de l’adolescent se superposa celui de l’adulte qu’il allait devenir. Tant de choses semblaient s’expliquer. Il y avait ce regard qu’avait relevé Hermione lorsque Rogue et Lily Evans s’étaient croisés, il y avait aussi cette jeune fille étrange, aux cheveux de neige. Les mains dans les poches de sa robe de sorcière, un livre coincé sous le coude, Hermione songeait encore et encore.

Elle avait soigneusement évité toute implication sociale au cours des derniers mois, préférant la compagnie des livres à ceux des humains, et la voila, par exemple, qui commençait à parler à Willow Lewis, la voici qui se mettait à observer les alentours autrement que comme un sujet d’étude. La Rouge et Or avait un peu la sensation de perdre pied, et c’était pour cela que, malgré le froid de rigueur en ce début d’année 1977, elle avait eu besoin d’air, besoin de se calmer, de comprendre, d’analyser.

Comme une furie, ou presque, marchant d’un bon pas, en tous cas, elle avait traversé les couloirs, remontant la foule, se faisant toute petite, désireuse d’être oubliée, et s’était retrouvée enfin au dehors. Là, le vent lui avait giflé et rougi les joues. Un froid hiver qui ne se lassait pas de se poursuivre, tantôt enneigé, tantôt ensoleillé, il lui offrait en ce jour là une grise fin d'après midi, glaciale, insupportable. Une journée qui lui avait paru interminable tant la jeune fille avait été absente de ses occupations.

Hermione, hagarde – il fallait dire qu’elle avait très peu dormi, trop occupée à lire tout ce qu’elle pouvait lire sur les sauts temporels – et déprimée de n’avoir rien trouvé de probant, errait dans le parc, seule ou presque, en quête de solitude et de paix. Son cœur était agité, et la chose nuisait à son raisonnement, elle le savait pourtant pertinemment. Est-ce que de savoir l’aidait à y voir plus claire ? Non. Malheureusement, non. Son esprit s’était obscurcit de problèmes, de questions, de craintes qui se mêlaient en une angoisse telle que la jeune fille n’en avait jamais connu auparavant. Maintes et maintes fois, elle avait songé à en parler à Harry, Ron, Ginny… Mais cela n’était vraisemblablement pas possible. Comment leur avouer que la grande et insupportable Hermione Granger n’était finalement qu’humaine ?

La compagnie de ses livres ne lui suffisait plus, mais son savoir… oui, son savoir, à défaut de lui apporter le pouvoir ainsi qu’on le disait, lui apportait bien des motifs de souffrance. Elle n’était pas stupide, elle savait à quel point était dangereuse leur situation. Les autres ne semblaient pas bien saisir la délicatesse de l’entreprise, mais… leur simple présence ici avait déjà bouleversé ce monde. Rien que d’exister dans cette époque était une perturbation, une incohérence. Ils avaient déjà réécrit le passé, d’une certaine façon… Alors Non ! Non ! Il ne fallait pas toucher à quoi que ce soit, il ne fallait surtout pas essayer d’agir ! Accepterait-elle que Harry, qui n’avait jamais connu sa famille tente de lier connaissance avec eux ici et maintenant ? Laisserait-elle Drago ou Ron mettre le bazar dans le futur par leurs actes irréfléchis ? Non !

Etre garante du passé pour sauver le futur, presque une gardienne… Quelle responsabilité démesurée sur ses frêles épaules. Elle le sentait bien à présent… elle était bien trop faible pour cette mission, bien trop petite pour assumer cela.

En premier lieu, pour brillant que fût son esprit, elle n’était toujours pas parvenue à trouver une explication plausible à leur présence là, ni même une explication rationnelle sur le plan des enchantements. C’était à n’y rien comprendre, cela n’avait pas le moindre sens à la vérité, et c’était un épineux problème, bien entendu. Ensuite, il y avait cet autre souci de taille : COMMENT RENTRER CHEZ SOI ? Une question qui tournait en boucle dans son crâne, qui lui brisait le fil ténu de ses pensées, qui fracassait la sérénité de ses nuits, la laissant plus morte que vive certains matins tant elle semblait avoir pris de l’âge à l’aune de la fatigue. Elle travaillait trop, oui, mais ce n’était certainement pas pour l’école, après tout, elle bénéficiait d’une jolie avance dont elle ne se départirait pas de sitôt… Les professeurs l’adoraient, et elle voyait dans leurs cours une échappatoire. Pour un temps, elle oubliait qu’elle était d’un autre temps, d’autres lieux, d’une autre époque… Mais ce souvenir la rattrapait en général…

Et cela donnait des moments comme celui qu’elle vivait à présent, des pauses longues et torturées, teintée d’incompréhension et de détresse. Oh, d’ordinaire, une telle chose ne survenait pas si brusquement, car elle occupait son esprit, l’exerçait sur d’ardus ouvrages à la bibliothèque, ou dans la pratique d’enchantement, mais en cette pâle journée… La solitude se faisait sentir.

Déjà, aux premières lueurs de l’aube, elle avait perçu l’angoisse familière à l’idée d’attaquer une nouvelle journée dans l’inconnu, dans le passé. Bien décidé à l’ignorer, Hermione s’était rendue en cours d’un bon pas, troublée cependant. A peine avait-elle eu un mot pour Ron, ou pour Harry, à peine avait-elle touché à son petit déjeuner, l’estomac trop noué pour avaler quoi que ce soit.

Elle avait arpenté les couloirs, oui, vu la réaction des élèves, entendu ce que chacun avait à dire sur Potter, sur cette affaire. Elle avait vu la détresse de Lily, la haine de Severus, tant de choses qui l'avaient au final déstabilisé bien que prise dans le feu de l'action, elle avait tenté de n'en rien montrer.

L’angoisse diffuse s’était estompée en cours de métamorphose. Elle s’était totalement laissée emporter par le cours, n’avait même pas cherché à comprendre, et avait laissé voguer son esprit vers les transformations d’objets inanimés en animaux. Et puis… Et puis tout lui était revenu au visage à la fin du cours, lorsqu'il avait fallut reprendre le combat entamé plus tôt dans la journée pour Potter. Elle avait blêmi, s’était sentie mal, et s’était enfuie, entendant encore distinctement une remarque glissée à son attention par un groupe de Verts et Argent à propos de Potter. James Potter.

L’angoisse de cette prison temporelle, la peur constante que quelqu’un ne découvre son secret, la peur de commettre une action irréparable, d’agir sur son entourage… Bon sang, comment ne pas devenir folle avec tout ceci ?

Hermione, de guerre lasse, s’installa dans le parc, non loin de la lisière de la forêt interdite. Le chêne contre lequel elle s’adossa était encore dans l’enceinte de l’établissement, mais proche, tout proche de cet endroit ténébreux et attrayant à la fois. Elle la voyait d’ici, la forêt. Quels mystères sous ces frondaisons ? Quelles différences entre ces troncs d’une époque à l’autre ? A ces questions la jeune Gryffond’Or n’avait aucune réponse.

Son esprit dévia encore, incapable de se fixer sur un élément précis tant sa lassitude et sa fatigue brouillaient la cohérence de ses pensées, en même temps que le froid engourdissait le bout de ses doigts serrés sur la couverture d’un volumineux ouvrage. Une chevelure de neige, une altercation, le cas Potter, il devait sortir de ses geôles, non pas en raison d’une innocence ou de justice, cela n’était pas vraiment à l’ordre du jour, mais bel et bien parce s’il restait là bas, s’il était envoyé à Azkaban… Jamais Harry ne pourrait naître ! C’était peut-être l’élu, mais c’était surtout son ami.

En songeant à cela, et à bien d’autres choses encore, Hermione laissa couler une larme, une unique larme sur sa joue. Bon sang, comment pouvait-on gérer tout ceci à la fois ?